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Chroniques de mon canapé
1 juin 2009

Les hostiles colonies de vacances

J'aime le sport.
A la télévision.
J'ai toujours été nulle pour la pratique.
Quand j'étais petite, déjà faussaire en herbe, je falsifiais les coupons de mon carnet de correspondance pour échapper aux trois heures d'EPS hebdomadaires.
Mon stratagème ayant été découvert, je dus alors avoir recourt au plan B.
La simulation.
Je me plaignais auprès de ma mère de violentes douleurs à la cheville.
Violentes et chroniques.
Violentes, chroniques et routinières, puisque celles-ci se déclaraient invariablement le dimanche soir, aux alentours de 19h.
(L'EPS était le lundi matin.)
Ne sachant déceler le lard du cochon, ma mère finissait par appeler le médecin d'urgence.
En attendant son arrivée, je sautais à cloche-pied dans tout l'appartement pour faire céder mon os.
Je faisais preuve d'une application exemplaire dans ma petite entreprise de démolition corporelle.
J'ai fini par obtenir gain de cause, écopant d'une élongation du tendon d'Achille.

Plus tard, la haine du sport ne m'a pas quittée.
Nous étions contraints mon frère et moi de passer toutes les vacances scolaires en colonie.
Pour la jeune phobique sociale que j'étais, je vous laisse imaginer l'angoisse.
Initiations au canoë-kayak, au bateau à voile, au VTT, je parvenais à faire illusion.
Je me forçais.
Et je détestais ça.
Sauf qu'une année, je m'étais prise d'amitié pour une fillette répondant au laid prénom d'Eliette.
Nous étions aux sports d'hiver.
J'étais un peu amoureuse d'Eliette.
Elle était jolie, drôle, populaire et pleine d'aplomb du haut de ses sept ans.
Tout l'inverse de moi.
Je ne lui trouvais qu'un défaut: Céline.
Céline était mon ennemie jurée, cette année-là.
Elle connaissait Eliette de la vraie vie.
Elle la considérait un peu comme sa chose, tout en étant sa première fan.
Eliette m'aimait bien.
Céline ne m'aimait pas.
Et je n'aimais pas Céline.
Je suivais Eliette partout. Tout comme Céline. Qui sans avoir sa beauté et sa popularité faisait preuve d'une certaine maîtrise dans l'art de la vanne et de la réplique acerbe.
Surtout à mon encontre.
Je crois bien qu'à l'époque j'ai été jusqu'à la haïr.
(Voire à souhaiter sa mort, le soir, dans mon lit superposé.)
La particularité d'Eliette, c'était sa jambe cassée.
Pas de façon permanente à la manière du capitaine Crochet.
Une jambe cassée, plâtrée, signée.
Un vrai sézame pour la popularité.
L'accident avait eu lieu peu avant le début de la colo et ses parents avaient décidé de l'y envoyer malgré tout.
Pendant les heures où nous allions tous skier, elle restait seule dans l'autocar.
Jusqu'à ce que Céline se blesse à son tour.
Les savoir toutes les deux en tête à tête dans l'autocar à rire et s'amuser pendant que moi j'étais obligée d'arpenter les pistes avec des nains en combinaison me rendait ivre de jalousie.
Cela conférait à Céline une longueur d'avance quasi-irratrappable dans notre lutte acharnée pour l'amitié d'Eliette.
Je ne pouvais le supporter.
Je me réveillais la nuit, dans mon lit superposé, pour échaffauder des plans machiavéliques afin de conserver mes chances.
J'avais obtenu ma deuxième étoile, et ce séjour au ski devait me permettre de décrocher la troisième.
Je détestais le sport.
Et le ski, encore plus.
Le tire-fesse me terrorisait.
Je ne mettais aucune bonne volonté à effectuer mon chasse-neige, boursouflée de rage que j'étais en pensant aux deux copines s'en donnant à coeur joie dans l'autocar du bonheur.
Mon coeur s'emballait, mon esprit tournait en rond, le rouge me montait de partout, je n'avais qu'une hâte, que la torture s'achève pour retrouver Eliette.
J'éprouvais une douleur infinie.
De celles dont on ne parle pas. Qu'on laisse pourrir en nous dans la culpabilité et la honte. Qui progressent et prolifèrent à force d'être contenues.
Un jour où l'obsession se fit plus forte que tout, je ne réfléchis plus, et en pleine descente me laissai tomber lourdement sur le tapis de neige.
J'avais si mal que les larmes se mirent à couler crescendo sur mes joues glacées de fureur.
L'équipe de monos qui nous avaient en charge prit ma chute pour un accident grave que je ne démentis point.
L'hémorragie lacrymale se poursuivit alors qu'on me plaça délicatement dans un écrin doré.
Retenue par les sangles de la luge des secouristes je dévalai la piste comme on court après son but.
Je fus entourée de moult précautions.
Le directeur lui-même vint me chercher à la station de ski pour m'emmener à l'hôpital.
Il ressemblait à Patrice Laffont.
Dans son pick-up orange je pleurais de plus belle.
Le médecin mit ma jambe sur une plaque glacée.
M'assaillit de questions.
- Et là, tu as mal ?
- Ca te fait quoi quand j'appuie ici ?
- Tu arrives à plier la jambe ?
Marteau, stétoscope, radios, réponses, regard, blouse blanche, mensonge, larmes, directeur, je suis assise sous cette machine d'acier quand je parviens à stopper le train de mon obsession pour remettre pied à terre.
Et comprendre qu'il est déjà trop tard.
Que je ne peux plus reculer.
Je me laisse manipuler avec stress et délectation, redoutant le moment où je serai percée à jour comme on attend la mort.
On me laisse seule sous la glaçante machine d'acier.
La directeur et le médecin s'isolent dans un bureau pour sceller mon sort de petite menteuse.
Je m'approche de la porte.
Je veux donner un sens aux sons qui me terrifient.
- Elle n'a rien du tout.
- Mais...Et les larmes ?
- Pfff. C'est du cinéma.
Je cours grimper sur la machine alors que les voix se taisent.
Le directeur et le médecin s'approchent de moi, une grosse enveloppe à la main.
Poignée de mains.
Remerciements.
Je ne peux plus pleurer dans le pick-up orange.
Je ne pense plus à rien.
Je voudrais disparaître.
Sauter par la fenêtre et me perdre dans cette montagne implacable toute épine dehors.
Les virages s'enchaînent dans un silence accablant.
Moi qui aie toujours autant aimé les trajets en voiture que détesté leur terme, je suis fort paniquée à l'approche du coup de frein.
La vision du grand bâtiment de bois me tétanise.
Je sais que la fin est là.
La directeur quitte le pick-up orange, l'écho de la portière qui claque semble sonner mon glas.
Il ne m'attend ni ne se retourne.
Je m'extirpe de mon éphémère asile.
Claudiquant, clopin-clopant, je rejoins mon bourreau.
Il pénètre le réfectoire où des milliers de gamins attendent ma potence.
Je le suis mais pas assez pour me fondre dans son ombre.
Et à droite, et à gauche, des tablées entière de petits êtres mouvants s'étalent à perte de vue.
Et ça parle et ça rit et ça chambre et ça hurle, ça claque la fourchette, ça aiguise le couteau.
Les brouhahas dispersés s'éteignent comme un seul homme à ma simple venue.
Et chacun semble prêt à recevoir pitance.
La rumeur gronde tandis que j'évolue ballonée d'embarras dans l'allée centrale.
- Regarde, c'est celle qui s'est cassée la jambe!
- Y a la fille qui a eu l'accident!
- Mais, elle a rien!
- Han, elle a fait semblant en fait!
Chacun de mes pas m'avilit un peu plus.
Et je voudrais ramper.
Je pense à mon frère, qui est à table, au déshonneur dont je l'assène.

La souvenir précis de ce moment s'arrête à cette marche.
Je ne sais de quel autre truchement mon jeune esprit fécond a usé, mais j'ai obtenu gain de cause.
Je me suis retrouvée  dans l'autocar, avec Eliette et Céline.
De trépidantes parties de mille-bornes s'y sont déroulées.
Quand je prenais la tête, Céline ne manquait de me demander:
- Mais pourquoi t'es là, toi, déjà ?

Dans mon for intérieur se déclanchait alors le rire le plus sadique que l'enfance eut porté.

Il m'avait suffit de quelques jours pour décrocher mes galons auprès d'Eliette.
Nous étions des amies.
Chaque activité du camp nous voyait en binôme.
Nous partagions tout.
Et nous étions heureuses.
Face à l'éclat de nos liens Céline faisait grise mine.
Nous étions l'exemple même de l'harmonie amicale.
Il y avait fort à parier que nous échangerions nos adresses pour rester en contact  l'issue de la colo.
Et le plus beau de tout, j'avais en fait gagné.

A la fin du séjour, au détour d'un échange, sans vilénie aucune, Eliette me dit ceci:
- J'en ai connu des filles collantes, mais alors des comme toi...








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